dimanche 25 novembre 2007

Souvenirs d'un séjour à Costantinople, par lady Craven

VOYAGE DEPUIS LA CRIMEE JUSQU'A COSTANTINOPLE, PAR LADY CRAVEN


Je fus reçu au palais de France.
M. de Choiseul avait été malade pendant six mois, et gardait la chambre.
M. de Choiseul était un homme très instruit et rempli de politesse. Il n'avait pas de ces attentions importunes que montrent les Français envers les dames, lorsqu'ils croient leur dire de belles choses ou cherchent à s'insinuer dans leurs bonnes graces à la première vue.
Il avait la dignité de la vieille cour, avec l'aisance des manières modernes. J'aurais été l'impératrice de Russie, qu'il ne m'eût pas traitée avec un plus grand respect ; et j'eusse été sa soeur, qu'il ne m'eut pas montré de plus tendres égards.
Sa maison avait l'apparence d'un bel hôtel français, bâti en pierres de taille et en bois, matériaux rares dans le pays.

De mes fenêtres, je voyais le sultan assis sur un sofa d'argent, tandis que ses barques d'honneur et celles qui devaient l'accompagner étaient rangées le long du jardin. Je trouvai cette vue magnifique au delà de toute expression.
Avec nôtre télescope nous apercevions très distinctement tous les signes de la splendeur ottomane. La barbe du sultan était teinte en noir, pour donner à ce prince l'apparence de la jeunesse, et par là on pouvait le reconnaître à une distance considérable. La couleur de sa barbe formait un contraste frappant avec son visage, qui était extrêmement pâle et livide. Le kiosque où se trouvait le sultan avec son sofa d'argent n'était pas très grand, et ressemblait à beaucoup d'autres qu'on avait en vue.

Ses femmes étaient en très grand nombre; on les voyait se promener comme des momies ambulantes. Elles étaient couvertes, du cou jusqu'à terre, d'une robe large et flottante de couleur vert foncé.
Par-dessus cette robe était un grand morceau de mousseline qui leur enveloppait les bras et les épaules, et sur celui-ci un autre qui leur couvrait la tête et les yeux. Ces vêtements dérobent tellement l'air et les formes, qu'il est impossible de reconnaître une femme sous ce costume, et qu'il la déguise parfaitement.

Je n'ai jamais vu de pays où les femmes puissent jouir d'autant de liberté à l'abri de tout reproche...
Un mari turc qui voit une paire de babouches à la porte de son harem n'y doit pas entrer. Son respect pour notre sexe ne lui permet pas de troubler ses femmes lorsqu'elles ont une étrangère en visite; et combien il est aisé à des hommes de passer pour des femmes, et de s'introduire ainsi dans les harems ! Si j'avais eu envie de me promener incognito dans les rues, j'aurais certainement adopté le costume des femmes turques, d'autant qu'elles ne s'adressent jamais la parole en s'appelant par leurs noms.
Quand je sortais, j'avais toujours avec moi les chaises de l'ambassadeur portées par six Turcs : deux janissaires les précédaient, la tête couverte de leurs grands bonnets fourrés ; car la Porte accorde des janissaires à tous les ambassadeurs. A tout moment, j'avais peur que mes porteurs ne me jetassent par terre ; tant les Turcs sont maladroits! Nous sortions souvent dans les barques de l'ambassadeur. On loue des canots à Gonstantinople comme à Londres ; ils sont d'une forme élégante et légère, et les Turcs sont d'excellents rameurs, ce qui peut sembler incompatible avec leur extrême paresse...

Mémoires de la margrave d'Anspach (Lady Craven) / écrits par elle-mème,... ; trad. de l'anglais par J. T. Parisot




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