dimanche 25 novembre 2007

La ville du Caire, par le comte de Verney

VUE DU BOULAK AU CAIRE, PAR PROSPER MARILHAT

Le Kaire, dont j'ai déjà beaucoup parlé, est une ville si célèbre, qu'il convient de la faire encore mieux connaître par quelques détails.
Cette capitale de l'Egypte ne porte point dans le pays le nom d'El-Qâhera que lui donna son fondateur ; les arabes ne la connaissent que sous celui de Masr , qui n'a pas de sens connu, mais qui paraît l'ancien nom oriental de la basse-égypte. Cette ville est située sur la rive orientale du Nil, à un quart de lieue de ce fleuve, ce qui la prive d'un grand avantage. Le canal qui l'y joint ne saurait l'en dédommager, puisqu'il n'a d'eau courante que pendant l'inondation.
A entendre parler du grand Kaire , il semblerait que ce dût être une capitale au-moins semblable aux nôtres ; mais si l'on observe que chez nous-mêmes, les villes n'ont commencé à se décorer que depuis cent ans, on jugera que dans un pays où tout est encore au dixième siècle, elles doivent participer à la barbarie commune. Aussi le Kaire n'a-t-il pas de ces édifices publics ou particuliers, ni de ces places régulières, ni de ces rues alignées, où l'architecture déploie ses beautés. Les environs sont marqués par des collines poudreuses, formées des décombres qui s'accumulent chaque jour ; et près d'elles la multitude des tombeaux, et l'infection des voieries, choquent à-la-fois l'odorat et les yeux. Dans l'intérieur, les rues sont étroites et tortueuses ; et comme elles ne sont point pavées, la foule des hommes, des chameaux, des ânes et des chiens qui s'y pressent, élève une poussière incommode ; souvent les particuliers arrosent devant leurs portes, et à la poussière succèdent la boue et des vapeurs mal odorantes.
Contre l'usage ordinaire de l'Orient, les maisons sont à deux et trois étages, terminés par une terrasse pavée ou glaisée ; la plupart sont en terre et en briques mal cuites ; le reste est en pierres molles d'un beau grain, que l'on tire du mont Moqattam qui est voisin ; toutes ces maisons ont un air de prison, parce qu'elles manquent de jour sur la rue.
Il est très-dangereux en pareil pays d'être éclairé ; l'on a même la précaution de faire la porte d'entrée fort basse ; l'intérieur est mal distribué ; cependant chez les grands on trouve quelques ornemens et quelques commodités ; on doit sur-tout y priser de vastes salles où l'eau jaillit dans des bassins de marbre. Le pavé, formé d'une marqueterie de marbre et de fayence colorés, est couvert de nattes, de matelas, et par-dessus le tout, d'un riche tapis sur lequel on s'assied jambes croisées. Autour du mur règne une espèce de sofa chargé de coussins mobiles, propres à appuyer le dos ou les coudes. A sept ou huit pieds de hauteur, est un rayon de planches garnies de porcelaines de la Chine et du Japon.
Les murs, d'ailleurs nuds, sont bigarrés de sentences tirées du Qorân, et d'arabesques en couleurs, dont on charge aussi le portail des beks. Les fenêtres n'ont point de verres ni de châssis mobiles, mais seulement un treillage à jour, dont la façon coûte quelquefois plus que nos glaces. Le jour vient des cours intérieures, d'où les sycomores renvoient un reflet de verdure qui plaît à l'oeil.
Enfin, une ouverture au nord ou au sommet du plancher, procure un air frais, pendant que par une contradiction assez bizarre, on s'environne de vêtemens et de meubles chauds, tels que les draps de laine et les fourrures. Les riches prétendent par ces précautions écarter les maladies ; mais le peuple, avec sa chemise bleue et ses nattes dures, s'enrhume moins et se porte mieux.

Voyage en Syrie et en Egypte pendant les années 1783, 1784 et 1785, par le comte de Volney

PORTRAIT GRAVE DU COMTE VOLNEY, D'APRES CHASSELAT


Liens et copies :

http://www.academie-francaise.fr/immortels/base/academiciens/fiche.asp?param=278

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